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Station Ménilmontant. Ligne 2. Sortir du métro. Remonter la rue de Ménilmontant. Regarder à l’horizon, avec cette impression d’enfance de gravir une petite montagne. Arriver à la hauteur de l’église. Tourner à droite. Voir des enfants se rendre à l’école, des parents distribuer rapidement des embrassades et filer au travail. Regarder l’amandier. En fleurs. Se dire que ce quartier est beau. Mettre la clé dans la porte. Arriver dans le hall central des Plateaux Sauvages…
Dans ce bâtiment étonnant, suivant la période de l’année, du jour ou de la soirée, on peut y voir : un metteur en scène en train de faire les cents pas le jour de sa première ;  une autrice imprimer la dernière version de sa pièce ; des jeunes gens, vus plus tôt rue des Panoyaux, réclamer à cor et à cri une balle de baby-foot ; une jeune compagnie entamer ses premières répétitions ; des enfants sortir excités d’un atelier de cirque ; M. expliquer à un spectateur ce qu’est la tarification responsable ; E. ranger des projecteurs dans l’atelier ; un petit groupe d’adolescentes battre les cartes dans la bibliothèque ; un graffeur investir un mur extérieur…
Et puis, on peut entendre le silence se faire, quand les lumières baissent, et qu’apparaissent les acteurs, les actrices au plateau… ensuite, on peut vivre des applaudissements, et voir un monde se refaire autour d’un verre ou dans l’un des cafés de la rue Sorbier.
 
Ces images, ces sensations, je les ai vécues des centaines de fois aux Plateaux Sauvages, devenus en peu de temps un lieu unique, un carrefour de la création professionnelle et de la transmission artistique, reconnu par la profession, les artistes et les publics.
 
Septembre 2019, notre projet est en plein essor.
 
Fin novembre 2019, brutalement, les lumières s’éteignent…
Artistes, équipes permanentes, technicien·ne·s et publics doivent plier bagage…
Les ateliers pour les habitant·e·s et les enfants du quartier cessent, les projets de transmission artistique sont suspendus.
« Fermeture administrative du lieu ».
Immédiatement, les services de la Ville de Paris et notre équipe se mobilisent pour répondre aux questions de la Préfecture.
 
Immédiatement, il faudra aussi relocaliser, transformer, déplacer et réinventer l’activité artistique et culturelle très dense du lieu.
Immédiatement, nous pouvons compter sur la solidarité exceptionnelle de structures qui poussent les murs de leurs programmations pour nous aider à préserver le travail des artistes. Le Carreau du Temple, La Colline – théâtre national, le Centquatre-Paris, la Maison des Métallos, la MPAA, le T2G, le Théâtre de la Ville, le Théâtre Paris-Villette, Théâtre Ouvert, et tant d’autres, ont fait preuve d’une émouvante et précieuse amitié.

Pour les 400 participant·e·s aux ateliers hebdomadaires de pratique artistique (dont 70% résident dans le 20e arrondissement), les artistes-intervenant·e·s, les associations, les structures partenaires et les habitant·e·s, les questions se bousculent…
Comment relocaliser dans l’urgence près de 40 ateliers de théâtre, de chant ou de danse ? Comment poursuivre nos actions culturelles, missions essentielles de notre projet ?
Nous devons, hélas, suspendre une partie de notre activité.
 
Nous ne savons pas alors qu’une crise sanitaire sans précédent adviendra.
 
Mars 2020…
Le monde bascule dans une réalité inédite. Pendant que des hommes et des femmes se battent contre l’épidémie de COVID 19, les artistes continuent de faire ce qu’ils savent faire le mieux : créer. Sur tous les supports, par tous les moyens. Nous nous y engageons aussi en invitant chacun·e à écrire sur la solitude et nous recevons une centaine de textes que nous nous voyons déjà mettre en voix à l’automne.
Dans ce temps suspendu, avec l’équipe et les artistes, nous construisons la saison prochaine. Elle sera belle, puissante. Reliées par la thématique des Métamorphoses, 19 compagnies émergentes et confirmées feront vibrer le lieu de leurs créations inédites.
 
Mai 2020…
Le monde de la culture et du spectacle vivant sort progressivement du confinement.
Un temps fort artistique et culturel s’organise à Paris au mois d’août : nous regorgeons d’idées.
Les conservatoires ouvriront leurs inscriptions le 2 juin et les théâtres leurs portes le 22 juin.
 
Seulement, pour notre équipe, qui attendait depuis plusieurs mois la décision de la Préfecture, la nouvelle tombe : de nouveaux éléments sont demandés pour compléter le dossier. La réouverture du lieu devra attendre.
 
Aujourd’hui, les services de la Ville de Paris restent activement mobilisés, tout comme l’équipe des Plateaux Sauvages, pour répondre sans délai aux demandes préfectorales.
 
Je veux dire ici, aux 218 artistes et technicien·ne·s qui projettent leurs merveilleuses créations la saison prochaine aux Plateaux Sauvages, que nous continuerons à nous battre pour que leurs projets se déploient dans les meilleures conditions.
 
Je veux dire ici, aux habitant·e·s du quartier, aux 400 participant·e·s des ateliers et aux 33 intervenant·e·s artistiques, que nous avons préparé ces derniers mois un programme d’activités placé sous le signe de la transmission et de la convivialité, et que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que cet établissement ne garde pas le visage d’un rideau de fer baissé.
 
Je veux dire ici, aux partenaires associatifs, culturels et éducatifs qui nous font confiance, que nous sommes déterminés à ce que les projets que nous avons construits ensemble pour la saison prochaine se réalisent.
 
La poétesse Maya Angelou disait : « Tu ne peux contrôler tous les événements qui t’arrivent, mais tu peux décider de ne pas être réduite à eux. »
 
Ces derniers mois, mon équipe et moi-même avons tout fait pour trouver des solutions, rester résolument positifs. Nous continuerons de l’être.
 
Nous mobiliserons toutes les forces pour préserver les emplois induits par les activités multiples du lieu, les emplois des femmes et des hommes, artistes, autrices, auteurs, technicien·ne·s, intervenant·e·s artistiques, issus d’un secteur traditionnellement fragile et encore plus précarisé par la crise que nous vivons.
Nous mobiliserons toutes les forces pour que parents et enfants puissent retrouver le chemin de leurs ateliers.
Nous mobiliserons toutes les forces pour rouvrir rapidement ce lieu en plein envol, situé au cœur d’un quartier populaire.
 
Je remonte la rue de Ménilmontant, je passe l’église, je tourne à droite, je regarde l’amandier. Et je trouve ça beau. 
Lorsque j’ouvre la porte des Plateaux Sauvages, ce sont les mêmes images, les mêmes sensations de vitalité créative qui m’animent…
 
Nous sommes là, et le resterons, pour les partager avec vous le plus rapidement possible.

Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux Sauvages.

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